Une erreur, …posé. La montée est étonnamment stable et régulière au bout de ce câble et dès les premiers mètres toutes mes angoisses se sont évanouies. Faut dire que je n’ai pas vraiment eu le temps de respirer, moi qui craignais le treuil, le gonflage de l’Oméga 6 sur le plat, l’aile en arrière, les verrouillages et autres facéties… « Puisque t’en a jamais fait tu vas partir en premier, là maintenant ! » Ah bon ? Juste le temps de me concentrer et de me préparer et me voilà accroché à ce machin qui tire avec heureusement à l’autre bout Frédo, le meilleur treuilleur de tout le grand sud-ouest. En plus y’a un peu de vent et avec la pré-tension, un pas pour gonfler et la voile bondit au dessus de la tête… Décollage ! Je n’ai jamais retouché le deuxième pas, le premier sera donc un pas de géant ! Et je trouve même rassurante cette traction permanente. Quelques petites corrections (trop facile…) et me voilà en haut de ma parabole. « Largage !» me fait Frédo à la radio… oui mais je suis encore à +2 donc si j’attends encore « Largage ! »… ben chuis pas vraiment sûr que ce soit le moment le plus favorable et « Largage ! ! »… bon alors là c’est vraiment pour te faire plaisir parce que je vois que t’insiste. Je tire sur la petite poignée du largueur, ça fait « Chtoung ! » et je m’amuse à voir tomber vers le sol le câble au bout de son petit parachute blanc découpé dans un vieux sac d’engrais parce que c’est solide et que le Gers c’est un pays agricole. D’ailleurs ça monte toujours et je me mets en virage pour que le vario continue de biper. Heu, d’ailleurs ça remue, ça gigote, c’est pas calme, faut piloter un peu. On a beau faire, on s’amène avec des représentations comme quoi la plaine c’est cooool, facile et trop simple… Ben ça bouge comme à la maison. Mais je monte et je me dis que ça ne pourra pas être plus virulent. J’ai pris 200 mètres, c’est gagné, on va voir où il est le plafond ; tiens il est là, ça re-secoue et ça monte plus, normal y’a pas un cum, pas de relief pour te hisser, t’es déjà à l’inversion c’est minable ! Mais non que je me dis, ça montait franchement, faut tenter un truc. Partir à 450 m/sol dans la dérive c’est pas mon genre et je mets un poil d’accélérateur face au vent pour prospecter. J’y crois pas mais tout à l’heure la zone de déclenchement semblait être au-dessus du petit bois et du champ de tournesol (vert) ; je joue cette option et il me faut vraiment être à leur verticale pour que ça reparte, et plutôt fort ! J’aurais du resserrer ma ventrale, maintenant c’est plus le moment, gaz ! Là je monte plus haut et ça accélère encore, le thermique me sert des pointes à +6. Et il faut s’activer aux manettes pour empêcher la voile de fermer ! On n’est pas chez Mémé ! C’est pas vrai, j’ai entendu des bruits de tissu, je rêve ! Je cherche des yeux des oiseaux pour me baliser le chemin : que dalle, le ciel est vide. Ah, si plus loin au Nord-ouest quatre rapaces me montrent le plafond et la dérive et je commence à prendre des repères pour partir par là. J’annonce le plaf à 1550 m et je dis que je me barre. Transition, ouf du calme, et puis au moins vraiment calme ! La visi est dégueulasse, l’inversion très nettement matérialisée et en-dessous c’est la grosse crasse ; un peu normal en flux de sud-est qui trimballe tant de poussière. En fait le Gers c’est le Texas : un immense damier de champs moissonnés brûlés de soleil ! J’ai encore le réflexe de chercher des yeux des oiseaux, habitué que je suis à voler en compagnie de rapaces qui m’ont déjà sauvé bien des vols. Rien ! Pas même des hirondelles ou des papillons. Trop de cultures, de pesticides, le ciel est stérilisé et l’écosystème se casse la gueule. Alors je fuis vent de cul avec un sentiment de solitude qui m’envahit, j’ai vraiment l’impression d’être seul au monde en train de survoler une fournaise où la vie s’éteint… Mais Frédo avait parlé d’un parking d’Intermarché où l’on trouvait le thermique suivant, je ne sais plus près de quelle ville. Je repère au loin un grand bâtiment au toit sombre pur style industriel avec apparemment de nombreux camions garés et je m’y dirige. J’apprendrai par la suite que Frédo causait d’un endroit situé diamétralement à l’opposé ! Mais ça marche ! Je prends une explosion dans les dents, re +6 ! Faut s’y mettre à l’attaque, sur la tranche et tenir l’aile quand même. Merde ! J’ai pas resserré la ventrale ! Mais quel con, et c’est encore trop tard tellement ça brasse bien. Heureusement je ne mets pas longtemps à me retrouver au plafond et de suite je rapproche les maillons de 4 cm (environ). Ouf, un peu de sérénité. Je prends un cap plein Ouest car j’ai repéré les tours de Golfech et j’ai l’impression que la dérive m’amène en plein dans la zone classée D d’Agen ; c’est pas idéal pour la performance mais faut craber, on s’est donné le mal d’anticiper tout ça au sol… Je cherche les plus grosses zones pelées et je vais dessus : ça marche comme dans les livres. Je ne fais pas vraiment de point bas (au pire 700 m), je n’ai jamais rien en-dessous de +3 et ça se finit toujours par du +6 turbulent à faire en deux fois (doit quand même y avoir une petite inversion avant le vrai plafond). Bon, on s’ennuie pas quoi. Je suis étonné de ne pas entendre à la radio les voix des pilotes qui suivent, mais à tout hasard je communique régulièrement emplacement des thermiques, plafond, cap et vitesse/sol. J’ai l’impression de parler dans le vide, c’est d’ailleurs le cas, personne ne suivra. Au loin miroite un grand lac bordé d’une forêt assez importante : du contraste potentiel me dis-je. Proche de lui, une vaste colline, pelée, très blanche avec en plus une face exposée sud ; c’est là que ça se passe. Direct le vario hurle à +6, pas d’entrée en matière ! Les variations de vitesse de montée à l’intérieur du thermique sont impressionnantes, avec à chaque fois une relance rapide qui semble vouloir accélérer plus fort encore que la précédente. C’est une catapulte à détentes multiples ! Il fait plus frais que jamais, je monte plus haut. Pendant trois tours je suis persuadé que je vais crever l’inversion et finir dans le grand bleu. Je suis tout au sommet de la couche que je vois comme si j’étais couché sur une route. Le ciel au-dessus est d’une intensité de bleu qui évoque l’espace, le sol se perd dans la brume poussiéreuse et vers l’horizon je ne vois rien, c’est une crasse jaunâtre presque noire. Si je passe au-dessus je vais perdre la visi avec la planète… je n’en aurai pas l’occasion, la voile mollit brutalement, je m’allège dans ma sellette, stop, 1750 m, j’ai cogné le plafond. Allez cap plein Ouest, on continue et on laisse tomber les rêves de mise en orbite. Je ne regarde que la boussole car je ne vois quasiment plus rien, comme dans un vent de sable. Et sur une vaste zone je suis à 0, instants suspendus hors de touteréalité, la tête vide, j’avance. Le plafond suivant ne sera qu’à 1600 mais recèlera une nouvelle surprise. Au loin se détache une barrière plus sombre d’un vert profond. J’ai du mal à y croire mais c’est la forêt de pins de Gironde et des Landes qui commence. Vaste océan vert profond où je cherche déjà à deviner d’étroits passages : si je m’y engage, je ne rentre pas à la base ce soir ! Mais je commence déjà à prendre une option sur un couloir plus dégagé. En attendant faut se refaire. Au sud d’une petite ville qui approche, un vaste plateau dégagé et bien exposé m’attire. Boum ! + 6 (ça ne me surprend même plus), difficile à suivre. Je monte sans avoir la certitude d’être à tout moment maître de ma trajectoire (finalement, tant mieux si je suis seul !) et je le perds… Rester, partir (Oh Suzie…) ? Je pars dans la dérive car juste derrière ça a encore l’air très favorable. Erreur ! Fallait rester et attendre. Dans la dérive, là où je pensais, je reprends aussi du très gros mais il me mets presque en vrac ! Ca pète dans tous les sens, toujours très fort et toujours n’importe comment, je suis sous le vent du premier thermique et il faut tout ce que je suis en mesure de fournir pour garder l’aile entière ! Ca me fatigue et je ne trouve pas les ressources d’y passer plus de 5 minutes. Je fuis. Je quitte la zone en rebondissant de boulets désorganisés en mines anarchiques sans jamais pouvoir dépasser 900 m. Je passe au sud de Nérac et je vise une imposante bâtisse jouxtée d’un petit bois. La limite de la grande forêt n’est pas loin mais elle monte dans mon champ visuel. L’aérologie est un peu plus calme ici et je pose à 16h dans un grand champ très dégagé. Je vais plier à l’ombre, au loin rien ne bouge, volets clos, pas âme qui vive, la chaleur écrasante, je suis toujours seul. Ca fera deux heures de vol et 48,5 km avec un point de contournement alors que je commençais à avoir en tête de voler jusqu’à la nuit. C’est ça le vol libre : une erreur, posé ! Toutes les deux minutes je lève les yeux au ciel tellement je suis persuadé de voir les autres passer au plafond à ma poursuite. Il n’en sera rien, je donne à tout hasard ma situation à la radio bien que je ne sache pas où je suis. Il me faudra descendre jusqu’à la route pour retrouver de l’activité humaine. Trois voitures et deux heures plus tard, je suis de retour à St-Clar. Après mon départ les conditions se sont stabilisées et personne n’aura pu accrocher. Ce fut un vol de 14 juillet 2005 très mélancolique. Vincent.
Date de création : 08/06/2006 ¤ 09:04
Dernière modification : 15/06/2006 ¤ 10:34
Catégorie : Récits de vols
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